Photographie d’une publicité pour Chamonix Mont-Blanc dont l’image a entièrement été générée par l’IA, 2023, Paris
L’utilisation croissante de l’intelligence artificielle (IA) dans le domaine de l’art suscite des débats passionnés et complexes, générants des controverses et des préoccupations légitimes. De Jason M. Allen remportant le Colorado State Fair’s Fine Arts Competition avec une œuvre créée par un générateur d’images à la protestation d’artistes sur Artstation contre la publication d’œuvres générées par des prompts sur leur site web, l’IA fait naître une anxiété certaine chez les jeunes artistes et designers digitaux.
Les jeunes talents se retrouvent confrontés à une double pression. D’une part, la nécessité de maintenir un niveau élevé de compétences techniques pour rester pertinents dans un monde artistique de plus en plus dominé par le numérique. D’autre part, la crainte de ne pas pouvoir rivaliser avec la précision, la rapidité et même la créativité de l’Intelligence Artificielle, créant ainsi une perte de confiance quant à la pertinence de leur propre travail. Les nouvelles technologies accélérant et simplifiant certains processus techniques, de nombreux jeunes diplômés doutent de l’avenir même de leurs métiers. Lancelot Maestrini, artiste VFX, témoigne : « Quand on fait des effets sur des plans on utilise pas mal de logiciels, que ce soit 3D ou 2D, pour faire des intégrations. Dans ces logiciels-là, il y a beaucoup d’outils qui nous font gagner du temps et qui simplifient certaines tâches. Cependant, avec le temps, ces outils évoluent et deviennent de plus en plus performants. Au fur et à mesure certains outils commencent à être autonomes par rapport à ce que seul pouvait faire un artiste avant. ».
L’utilisation de l’IA dans la création artistique soulève des questions profondes sur la nature de la créativité humaine. Les artistes se demandent si leurs œuvres sont véritablement uniques ou si elles sont reproductibles à l’aide de prompts. Dans la classe de mon compagnon, étudiant aux Ateliers de Sèvres, une jeune artiste au style naïf a réussi à recréer le style quasi exact de ses œuvres à l’aide de Midjourney. Ce qui peut mener à une remise en question et entraîner une perte de confiance en soi, les artistes craignant que leur contribution créative soit remplaçable par la créativité algorithmique. À l’école de design et d’animation ECV, les professeurs encouragent leurs étudiants à utiliser l’intelligence artificielle comme outil créatif, et ainsi s’adapter à leur temps. Raffaëlle, étudiante en troisième année de Bachelor Animation 3D, rapporte que les élèves ne sont pas de cet avis et préfèrent conserver une démarche créative traditionnelle.
La frontière entre l’utilisation légitime de l’IA comme outil créatif et son impact éthique devient de plus en plus floue. L’utilisation de données non autorisées pour former des générateurs d’images soulève des préoccupations éthiques majeures, notamment en matière de plagiat et de violation du droit d’auteur. Les artistes peuvent se sentir menacés par la possibilité de voir leurs styles artistiques reproduits sans leur consentement, suscitant des inquiétudes à la fois sur le plan moral et juridique. Samantha Cavet (IG : @samanthacavet), photographe et artiste résidant à Madrid, raconte une expérience troublante où un compte Instagram, fort de quelque 200 000 abonnés, a exploité son travail artistique via l’intelligence artificielle pour créer des œuvres. Bien que ces créations présentent des variations par rapport à ses propres photographies, il est manifeste que le style unique de l’artiste a été utilisé et réapproprié. Malheureusement, Samantha n’a pas été créditée pour cette utilisation de son travail. L’Intelligence Artificielle, en imitant les styles artistiques individuels, pourrait alors menacer la vie privée et l’individualité des artistes. Les modèles d’IA spécifiquement conçus pour reproduire le style d’un artiste peuvent porter atteinte à sa réputation et à son identité. La capacité des générateurs d’images à créer (entre autres) des œuvres au nom d’un artiste décédé sans le consentement de la famille du défunt soulève des questions éthiques importantes sur la déshumanisation de la création artistique.
Au-delà des préoccupations éthiques et artistiques, l’impact environnemental de l’IA, notamment la consommation massive d’électricité et d’eau pour entraîner des modèles d’IA, doit également être pris en compte. La création de grands modèles d’Intelligence Artificielle comme Chat GPT nécessite d’énormes ressources, générant des émissions de carbone importantes et contribuant à une utilisation intensive de l’eau.
Bien que l’avenir de l’interaction entre l’IA et les artistes reste incertain, il est crucial d’aborder ces préoccupations de manière proactive. Des discussions éthiques et la recherche de solutions juridiques sont nécessaires pour protéger les artistes, préserver la créativité humaine et garantir que l’IA est utilisée de manière éthique et responsable. Les jeunes artistes et designers digitaux doivent être soutenus dans leur adaptation à ce nouveau paysage artistique, tout en maintenant l’intégrité de leur travail créatif face à l’influence croissante de l’IA. Certains artistes se sont parfaitement accommodés de ces nouvelles tendances, et une nouvelle génération d’artistes a même vu le jour : les I.Artistes. Combinant avec ingéniosité les technologies modernes à leurs visions, ces créateurs ont fait de l’IA leur médium premier de création, ouvrant ainsi les perspectives de l’art contemporain.